jeudi 9 mai 2019

Pourquoi je dessine ?

Observer, croquer, dessiner, recommencer.

Dessiner. Rassembler les crayons. Faire la trousse, est-ce que je prends un pinceau ? Ce carnet là, il reste que trois pages… je le prends ? Ça va faire lourd, pour trois pages. Qu’est-ce que je vais dessiner, j’ai envie de quoi ? Je vais où ? Comment est la lumière ?
Je vais me mettre là, d’ici je vois bien. Pourquoi est-ce que j’irai dessiner ? À quoi ça sert ? Pourquoi je dessine ?

L'instant
Dessiner, sur le vif, saisir le présent, l’allonger, l’accompagner quand dans son mouvement il nous entraîne et nous remet sans cesse en question. Dessiner c’est témoigner d’un état du monde déjà perdu, figer, non pas un instant mais une séquence, bientôt un souvenir. Dessiner c’est se saisir du monde, s’en saisir, le saisir, le prendre, avec soi, pour le comprendre. Dessiner c’est être le premier témoin, égoïste, du dessin, c’est voir l’histoire se construire, savoir les sentiments, les angoisses, les inquiétudes et les plaisirs du dessinateur, ses échecs et ses réussites… Un privilège quand les autres n’ont à voir que le résultat, un peu comme si on avait vu le film dont on ne laisse à voir aux autres que l’affiche, ou pire, que la dernière image.



Emotion in motion
Dessiner c’est s’élancer, d’un point –poser la mine, inspirer— tracer. Laisser l’œil aux commandes, le regard sur la destination, sans garantie d’y arriver. Lancer un pont sur l’abîme. Ne pas trop réfléchir. S’élancer vers le futur, voir le trait juste devant la pointe de la ligne, le suivre, le modeler, le dompter. Dessiner, c’est trancher, dans le vif, choisir, bifurquer.

Dessiner c’est improviser, chevaucher l’instant, maîtriser un sujet indocile et mobile –une illusion, bien entendu c’est le sujet qui nous mène. C’est se faire peur sans aucun danger, se menacer, se surmonter et triompher de soi même. Se laisser porter, à dessein. Dessiner, sur le vif, c’est avoir la volonté de s’abandonner aux circonstances. C’est suivre la ligne, le galbe, la courbe, la droite, la brisure. Dessiner c’est mesurer, évaluer les proportions, les tailles. Dessiner c’est simuler, simuler le réel, simuler qu’on le contrôle, simuler la discipline en se soumettant au désordre. Dessiner c’est se mesurer, à soi même. Dessiner, c’est s’abandonner dans la contemplation.

C’est danser, de la main, et laisser la trace de ce geste, de son rythme, de sa vitesse. Éclairer d’un rehaut, un reflet, d’un coup de craie carrée passer de l’ombre à la lumière.



Sens
Dessiner c’est le bruit de la mine, la pierre noire rugueuse crissant sur le grossier papier de récup’, le kraft des courses. Le sifflement du fusain qui file, glisse et s’écrase sur les rayures Ingres. La sanguine onctueuse sur la crème grasse et lisse d’un carnet offert. L’incision précise du porte mine HB 0,5, décision rectiligne tranchant sur le blanc.
C’est l’odeur des carnets, la reliure, la tranche, la main et des coquetteries de gourmet, Hahnemühle précieux, Moleskine moelleux, Canson scolaire, Conda sec… et compagnie.

Dessiner c’est s’absorber, s’abandonner, se faire confiance, se libérer, se contraindre, s’ennuyer, se décevoir et s’étonner de sa propre réussite. Décider que c’est fini, qu’il est temps de s’arrêter, plus ce serait trop.


Partage
Et c’est montrer, après, pendant, aux gens, aux passants, aux copains qui dessinent avec nous.
Ou pas.
On est pas obligé, c’est pas grave, c’est juste un dessin. On peut toujours le recommencer.
Pour le plaisir.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire